samedi 22 août 2009

Les briseuses de veillée

Briseuses de veillée

Par Samir Bouhadjadj

Nouvelle écrite à Ouessant dans le cadre du salon du livre insulaire 2009

Challenge Marat'o'Tweet initié par Mister Bud & Gwen Catalàn

Spéciale dédicace à Diego Djorquera, alias Diego le magnifique, pour le fond de documentation à l'origine de cette histoire Ouessantine,

Le pas de Pierre était lourd ce matin.

Il accompagnait le maire du bourg et portait l’écharpe bleue du syndicat des gens de la mer, l’étoffe porteuse de drame et de larmes.

En cette matinée du 13 septembre 1965, la nouvelle qui colporte est encore plus triste que toutes les précédentes.

La veuve présumée pour laquelle ils entament la procession de la proella n’est autre que Anne-Marie Malgorn, née Le Bihan.

Depuis leur enfance Pierre Le Bihan avait protégé sa dernière sœur, sa princesse.

Aujourd’hui le tandem avait la lourde tâche de procéder au tour des proches et de la famille pour finir par la maison où les deux hommes passaient fréquemment boire le coup.

La mort dans l’âme, le funeste couple atteignit la maison des Le Bihan, les parents de Mathieu.

Le beau-frère de Pierre s’était embarqué depuis deux semaines sur l’attrape cœur, thonier armé à Concarneau et battant pavillon breton dès qu’il était en mer, à l’abri des regards.

Nom qui prenait aujourd’hui une connotation que certains n’hésiteraient pas à interpréter comme un présage qui aurait dû être évité.

Sans être totalement superstitieux, les gens de la mer portaient une importance significative aux noms de leur embarcation, l’attrape cœur s’était transformé en attrape veuves.

Alors que Pierre gravissait le chemin menant à Toul Al Lann il fut aperçu par la vieille Le Cleach.

Voyant le représentant du syndicat des gens de mer arborer l’écharpe bleue elle se signa et commença une prière silencieuse pour que ‘le petit’ passe son chemin sans s’arrêter chez elle.

Pierre souffla autant pour l’effort physique qu’il était en train d’effectuer que pour le poids grandissant de la nouvelle qu’il colportait et partageait avec son élu communal.

Simone fut soulagée lorsque les hommes dépassèrent enfin son entrée mais fut presque immédiatement submergée par une larme de fond.

Une de ses voisines venait de perdre un mari ou un fils et n’allait pas tarder à l’apprendre ; maudite mer, maudite tempête.

Le vent poussait Pierre par rafales longues et pénibles. Ce vent qui l’approchait de ses obligations était certainement celui qui avait causé le naufrage de son beau frère au large des côtes irlandaises.

Ironie du sort, l’orientation de ce coin du bourg faisait siffler Éole d’un chant mélodieux et faisait danser les herbes folles dans un ballet soyeux.

Pierre et Jean Tartin arrivèrent enfin devant la demeure des Malgorn. Depuis la petite fenêtre donnant sur la cour, la mère de Jean-Charles Malgorn comprit instantanément.

Elle venait de passer une nuit agitée et avait senti les vents mauvais des grandes marées, annonciateurs de mauvais augure.

La nuit lui avait été pénible. Des rêves de grèves vides et de galets gris tombant des toits du bourg de Lampaul, puis une invasion de varech avait envahi son jardin…. Cela ne présageait rien de bon.

Le vision du duo abattu lui fit battre le sang dans les tempes si fortement qu’elle n’entendit pas les coups sur sa porte.

Elle fut même incapable de se souvenir de l’entrée de Pierre ainsi que de ses mots. Une seule chose était restée gravée : le mouvement de ces lèvres prononçant le prénom de son dernier fils vivant.

Jean et Pierre laissèrent Charlotte Malgorn aux bons soins des voisines ayant convergé vers sa demeure. La nouvelle s’était propagée à la vitesse d’un cheval au galop.

Ils étaient maintenant sur la route de la dernière annonce, la plus dure, celle qu’il aurait préféré ne jamais avoir à faire : le veuvage de la sœur de Pierre.

Il connaissait l’île et les conséquences habituelles de ce genre d’événements. Vu le peu d’hommes vaillants et candidats au mariage, une veuve habitant à Ouessant avait toutes les chances de le rester.

Malgré l'immense statut matriarcale de l'île, n’ayant pas encore eu d’enfants, elle avait donc toutes les chances de devenir, de fait, une branche morte, une âme en équilibre au bord du précipice de l’oubli.

Le vent, maintenant de face, forcissait et le ciel s’assombrissait lourdement. La tempête allait s’abattre sur l’île d’ici quelques heures mais Pierre n’avait pas l’âme à penser aux préparatifs nécessaires pour mettre son matériel à l’abri.

Les longues balades en compagnie d’Anne-Marie à la recherche du bois flotté lui revenaient en mémoire.

Leurs escapades à la fois incontournables, vitales pour se chauffer et bourrées d’aventures, corvées transformées en joies enfantines, découvertes chargées des codes et mystère de l’île.

Il fit la route dans une léthargie rêveuse. Son angoisse se perdait dans le paysage qui s’ébrouait sous les assauts du vent. Il était anesthésié par les éléments.

Les derniers pas menant à la maison d’Anne-Marie le ramenèrent à la sombre réalité de sa visite. Une ombre pris forme derrière le rideau, il ne pouvait plus faire machine arrière.

Compte tenu de la proximité familiale de cette dernière annonce, le maire fit son devoir de présence avec deux pas de recul et laissa Pierre seul dès qu’il pesa sur le penne de la porte.

Anne-Marie comprit. Le teint verdâtre des visages qu’elle connaissait si bien et leur association formelle l’informèrent immédiatement du ton de la visite.

Elle aurait pu s’effondrer mais sa seule réaction fut de retourner à son four pour l’alimenter en bois. A défaut d’un far, il faudrait en préparer une demi douzaine afin d’accueillir dignement les proches de son mari disparu en mer.

Alors que Pierre essayait vainement de la consoler, Anne-Marie priait déjà pour que l’on retrouve le bateau.

L’espoir un peu enfantin de croire à une erreur de transcription d’un des sémaphores ou à un problème de la radio du navire.

Le capitaine de l’attrape cœur connaissait leur zone de pêche comme le dos ridé de sa main. Elle avait aveuglement confié son homme au commandant Groissant.

Ce dernier était un homme d’une trempe rare et d’un cran à toute épreuve.

Que son navire ait pu disparaître corps et biens sans laisser de trace était impossible. Du moins, c’est dans la force de cet homme qu’elle mettait ses espoirs de revoir Jean-Charles.

Anne-Marie ne pouvait se faire une raison, ses rêves d’enfants courant dans ses jupes avaient trop parfumé ses sens et ses nuits pour que la réalité lui reprenne tout cela aussi brutalement.

Dans ses songes, le petit garçon qui l’accompagnait avait bien trop les traits de l’élu de son cœur pour ne pas être le fruit de leur amour.

Persuadée du caractère prémonitoire des différentes visions qu’elle avait ressenti, elle ne pouvait donc pas imaginer une seule seconde que la mer d’Irlande puisse l’en priver.

Pourtant sa maison commençait doucement à se remplir de proches et d’amies en larmes. Cependant, ses yeux restaient secs et ses pensées lointaines malgré les vagues de cris déchirants qui montaient en puissance.

Le zénith des décibels plaintifs fut atteint à l’arrivée de la mère du défunt. Les cris devinrent hurlements, les pleurs rivières et les accolades profondes.

La veillée commençait comme tant d’autres l’ayant précédée et elle avait de grandes chances de finir dans la même tristesse désuète et vide de sens.

Pourtant, alors que toutes les robes noires se mêlaient et que les mouchoirs s’humidifiaient, deux vieilles femmes inconnues s’approchèrent d’Anne-Marie qui venait de sortir dans le jardin pour tirer de l’eau au puits.

La première attrapa son visage à deux mains et commença à chanter un air inconnu et mystérieux. Anne-Marie fut happé par cette litanie, ses yeux basculèrent dans leurs orbites.

Alors que son échine se raidit brutalement, la seconde briseuse de veillée posa sa main sur le front de la jeune femme, elle s’écroula au sol tel un chiffon froissé.

Anne-Marie se réveilla deux jours plus tard. Jeannette sa voisine et amie la veillait et l’accueillit avec un sourire compatissant.

Elle lui raconta la fin de la veillée et sa découverte inerte dans le jardin. Tous les habitants présents à la veillée avaient conclu à la violence du contrecoup et lui espéraient un prompt rétablissement.

Son inertie n’avait échappé à personne et cette perte de connaissance les rassurait presque.

Pourtant à son réveil, Anne-Marie était plus que jamais certaine que le retour de son homme n’était plus qu’une question de temps.

Jamais elle ne dévoilerait le secret de la visite des briseuses de veille, son destin en dépendait.


2 commentaires:

  1. Quand on sait (et je sais...) dans quelles conditions ce texte a été rédigé, et bien, moi, mister bud, je tire mon chapeau à l'ami Samir.

    Ouessant, à l'autre bout du monde, j'y étais et nous avons trouvé un chemin commun, Samir et moi.

    Chemin partagé par des rencontres d'exceptions, chemin partagé par Gwenn, Isa, Henry, Lise, Alain, Mumu, Sophie, Benjamin, Jean-Yves, Bruno, Isabelle, Rodney, Gilbert, Christian, Sylvain, et tous les bénévoles, tous ceux qui ont fait autant d'instants de bonheurs partagés.

    So long, l'ami.

    l'increvable mister bud... autrement dit djaune ouhaulfe bub/blosom

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  2. pardon, il s'agit de

    bud et non pas bub ni bus ni buzz (quoique...) dans la signature -;)

    ... j'espère ne pas être bad...

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