dimanche 4 juillet 2010

Baby-foot - Chronique d'un village par Fab

Baby-foot – bluejeans – bypass – week-end


On s’était donné rendez-vous au « Café des Amis » pour une partie de baby-foot . C’est vrai qu’il n’y avait pas grand chose à faire dans ce village isolé. Pas de ciné, encore moins de théâtre ni de terrain de sports, même pas une maison de quartier pour nous occuper, nous les jeunes, et pas de boulot non plus, bien sûr. Alors, à part le baby de Louis La Malle, le propriétaire du café, il ne nous restait que des conneries à faire, souvent sans conséquence, juste histoire de nous marrer un peu... Évidemment, avec l’émulation et notre orgueil de jeunes coqs, les petites bêtises devenaient de plus en plus grosses. Nous étions une bande de six potes, vêtus de bluejeans et de blousons noirs, qui semaient la crainte et le trouble dans ce village bien trop calme à notre goût. On faisait le désespoir de nos parents et les autres habitants nos regardaient d’un air méfiant dès qu’on se pointait.

Moi, je m’appelle Ange, mais je n’en ai que le nom. Sûr que ma mère ne m’aurait pas appelé comme çà si elle avait su tout le souci que je lui donnerai. Les autres me considérait comme leur chef parce que c’était toujours moi qui avais les idées. Je n’aurais pas tourné comme çà si j’avais pu faire ce que je voulais.
Depuis tout petit, moi, je rêvais d’être pilote. Je travaillais dur à l’école pour y arriver. Des avions, j’en avais partout dans ma chambre. Enfin, avant, parce qu’après le bac, quand j’ai su que mes parents ne pourraient pas me payer les études en conséquence, je les ai tous jetés, de rage. A partir de ce moment-là, j’ai arrêté l’école et je me suis mis à faire n’importe quoi parce que plus rien ne m’intéressait. Mais bon, n’en parlons plus, c’est de l’histoire ancienne.

Il y avait peu de monde dans le bistrot : quatre ancêtres, bérets vissés sur la tête, veste de velours côtelés et vieux mégot éteint au coin des lèvres qui tapaient le carton pour une sempiternelle partie de belote. Les mêmes d’ailleurs qui, l’été venu joueraient à la pétanque à l’ombre des grands platanes de la place. Il y avait aussi « Poisson Bouilli », l’ancien croque-mort, qu’on appelait comme çà à cause de ses gros yeux globuleux qui étaient tous rouges parce qu’il buvait beaucoup de vin de la même couleur depuis que sa femme était partie avec le receveur des postes et qu’il n’avait plus goût à rien. Des fois, il était vraiment pénible et invectivait le monde entier avec de grands moulinets des bras. D’autres jours, comme aujourd’hui, il était complètement apathique. Les vieux ne voulaient pas de lui parce qu’ils étaient d’un tempérament plutôt calme et çà les perturbait. Mais lui, çà ne l’empêchait pas de venir tous les jours les regarder jouer. S’il voulait une place, il devrait attendre que l’un d’entre eux meurent...

Louis La Malle essuyait des verres derrière son comptoir. Il n’était pas mécontent qu’on vienne. Sûr qu’on allait mettre un peu d’ambiance dans son troquet !!! Mais il nous avait prévenus : de l’ambiance, d’accord, mais pas de bagarre comme la dernière fois, sinon, même le regarder en photo, le café, on pourrait plus.
Faut dire, on avait fait fort, le mois dernier. On avait donné rancard aux jeunes du village voisin pour leur mettre la pâtée au baby.
On ne les aimait pas les jeunes d’à côté, enfin, les gars, parce que les filles elles, elles étaient super sympas avec nous ; elles disaient que ces gars étaient des DMM (comprenez des débiles mentaux moches). C’est sûr que c’était pas des lumières ni des prix de beauté. Les filles non plus d’ailleurs, et si on sortait avec, c’était plus pour faire enrager les gars d’en face que par véritable envie. Remarquez, ils faisaient la même chose avec nos filles. Parce que les belles et les intelligentes, elles partaient toutes tenter leur chance à la ville. Quelquefois, l’une d’entre elles revenait au bout de quelques années, seule, ou avec un enfant... comme quoi, elles n’étaient pas si intelligentes que çà...

On s’était donc retrouvé une vingtaine dans le café : six de notre bande, six de la bande adverse et quelques admiratrices des deux camps. Il y avait presque une demi-heure que nous avions commencé à jouer. On était à égalité 1 à 1, et, à part quelques petites injures, l’ambiance était plutôt bonne, quoiqu’un peu électrique. On sentait qu’une étincelle aurait suffit. Je pense que c’est à cause du grand Mamade que tout a commencé. On l’avait surnommé comme çà depuis qu’il était tout môme et qu’il parlait pas bien, il disait, je suis « mamade » au lieu de malade, et çà lui était resté. Il a marmonné quelque chose à Hamed, on n’a pas trop compris quoi, seulement que çà avait rapport avec sa sœur. Hamed, il a vu rouge subitement et a foutu un coup de boule sur le nez à Mamade qui s’est tout de suite mis à pisser le sang. S’en est suivi une bagarre générale . Même les filles se sont mises à se crêper le chignon. Les vieux, dans leur coin, continuaient à jouer aux cartes. Ils étaient un peu durs de la feuille. C’est quand les chaises se sont mises à voler qu’ils ont décidé, à contrecœur, d’un repli stratégique.

C’est aussi quand çà commençait à chauffer vraiment que Louis La Malle s’est mis à hurler un « assez » d’un voix de stentor, tout de suite suivi d’un silence ponctué du gémissement des blessés. Tout le monde s’est arrêté de se battre illico. Il nous a mis à la porte à coups de pieds où vous pensez. On est tous repartis, penauds, panser nos blessures. Le Père Louis était sévère, mais on savait qu’il ne dirait rien à nos parents. C’est aussi pour çà qu’on le respectait. Mais c’est surtout parce que c’était un dur, un vrai, pas une balance. Il était né au village et y avait passé toute sa jeunesse. Et lui, des conneries, il en avait fait. Et pas des petites. Devenu adulte, il partait souvent, on ne savait trop où. Il restait de grandes périodes absent, puis, il revenait, comme si de rien n’était. C’est de là que lui était venu son surnom. Évidemment, La Malle, c’est pas son vrai nom. Et d’ailleurs je me demande si quelqu’un s’en souvient de son vrai blase. Et puis, sur le tard, après une absence particulièrement longue, il est revenu définitivement au village. Il a racheté ce vieux bistrot qu’il a retapé.

Les gens disaient qu’il avait fait de la prison pour un mauvais coup qu’aurait mal tourné, et qu’il avait acheté le café avec l’argent du casse. Ils disaient aussi qu’il avait eu une fiancée quand il était jeune et qu’au bout d’un moment, elle n’était plus venue le voir au parloir parce qu’elle était partie avec son meilleur ami à lui. Le même qui l’avait lourdé aux flics. Tout çà, c’était que des rumeurs mais ya pas de fumée sans feu, comme on dit et puis, çà expliquait un peu son caractère renfermé, voire asocial et l’aura dont il bénéficiait auprès des jeunes. Le seul qui arrivait à quelque chose avec nous, qui savait nous parler et nous motiver.

Louis ne nous jugeait jamais. Il comprenait. Il donnait quelques conseils, mais ce qu’on préférait par-dessus tout, c’est quand il nous parlait de sa jeunesse. Ah ! sûr qu’il aurait pu en faire un bestseller de sa vie, le Louis, s’il avait su arranger les phrases. De quoi prendre une honnête retraite. Mais c’était pas son truc à lui, de se mettre en avant. Et ses histoires, il nous les distillait au compte-gouttes, comme une récompense, si on se tenait bien. Alors, on faisait des efforts... Et puis, si on avait un problème, un souci, ou même une joie à partager, c’était lui qu’on allait voir. Depuis toujours, il m’aimait beaucoup, un peu comme un fils. Je parlais plus avec lui qu’avec mes parents. Eux, à part me crier dessus, ils ne savaient pas trop communiquer.

Quand j’ai commencé à jouer au baby ce soir-là, c’était sans conviction. Au bout d’un moment, Mamade m’a remplacé. Tout d’un coup, j’ai été submergé d’un immense dégoût. Dégoût pour ce trou, sans avenir ni espoir, pour mes parents qui étaient devenus des étrangers, pour mes copains, si nuls, et puis dégoût pour cette vie longue et inutile que je voyais s’étirer devant moi. Alors, j’ai eu pitié de moi, du pauvre enfant perdu que j’étais. Les larmes m’en sont montées aux yeux.

Louis a vu que je n’allais pas bien. Il s’est approché de moi. Mais je n’avais pas envie de parler ou alors j’avais peur d’éclater en sanglots, moi, le petit dur... Alors, j’ai fait un vague geste de la main pour dire au revoir.
- « Bye, passe me voir ce week-end », m’a dit Louis au passage.
J’ai hoché la tête en guise d’acquiescement puis je suis parti.

Je suis sûr que Louis m’a dit çà juste parce qu’il a vu que j’étais mal. Je suis rentré direct. Même ma mère en est restée comme deux ronds de flan que je rentre aussi tôt.

J’ai pas dormi de la nuit. Et puis au matin, un autre jour arrivait. Il faisait beau, le soleil faisait danser des poussières d’or à travers les persiennes. Il y avait longtemps que je ne m’étais pas levé aussi tôt. J’ai ouvert les volets et j’ai vu toute la beauté de la vie : les gouttes de rosée qui scintillaient, les oiseaux qui chantaient, les feuilles qui bruissaient au vent léger... Et là, l’espoir est revenu. Sûr que je m’en sortirai. Je ne sais pas quand ni comment mais je ne resterai pas dans ce trou !

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