mardi 10 août 2010

La visite dura vingt minutes par Fab

Sandwich : La visite dura vingt minutes...à l’intérieur d’un corridor sombre.


La visite dura vingt minutes, pas une de plus. Puis, tous ces messieurs en costume et chapeau reprirent vite l’ascenseur qui montait vers le soleil.
Ils étaient venus pour les nouvelles lois qui, soi-disant, allaient protéger les enfants. Mais ils nous avaient à peine vus, ne nous avaient pas parlés. Alors, comment sauraient-ils ? Comment sauraient-ils le travail harassant, commencé à cinq heures, dans la nuit et le froid piquant du petit matin. Ces heures interminables à pousser les lourds chariots. Il fallait toujours faire très attention pour qu’ils ne nous roulent pas dessus. Et puis, les retours, à la nuit aussi, où nous marchions en file indienne, comme des morts-vivants, tant la fatigue nous tenait. Quelquefois, il nous était même impossible de nous laver ni de manger tant le sommeil s’abattait sur nous et nous prenait en un instant.

Alors, comment pourraient-ils savoir tout cela, ces messieurs, si propres, si bien habillés ? Et puis, ce n’était pas des lois dont nous avions besoin, c’était de la santé et de la chance : la santé pour travailler dans cet enfer et la chance pour ne pas y rester.

A l’école, j’avais appris à lire et à compter, le minimum. Comme mes parents étaient pauvres, j’avais été obligé de travailler. J’avais neuf ans et çà faisait déjà deux ans que je travaillais dans la mine. De douze à quatorze heures par jour, et faut pas croire qu’on avait un traitement de faveur. Au contraire, comme on était petit et mince, on pouvait se faufiler partout où les autres n’allaient pas, se glisser dans les galeries les plus étroites. Je crois que les seuls plus malheureux que nous étaient les chevaux : quand ils descendaient dans le puits, ils ne revoyaient plus la lumière du soleil, on ne les remontait que morts.

Eté comme hiver, il faisait une chaleur infernale dans les boyaux. Nous travaillions presque nus, le corps malingre ruisselant de coulées de charbon noirâtres, les yeux rougis, peu habitués à la lumière du jour. On ne savait pas de quoi on souffrait le plus, la faim ou la fatigue. Pour manger, nous n’avions que deux tartines de pain dur, recouvertes de saindoux, qu’on appelait le « briquet ». La peur, en revanche, était toujours là. Quelquefois, tapie au fond de nous comme une compagne : la peur constante de se blesser, de ne plus pouvoir donner le maigre mais indispensable salaire à la mère, d’être à jamais inutile. Quelquefois, la peur incontrôlable, comme un animal sauvage du coup de grisou.

Je savais ce que c’était, j’avais eu une alerte, l’année dernière. Je m’en étais sorti, mais mon compagnon, mon fidèle ami, le petit Marcel n’avait pas eu de chance. Il y était resté. Il venait d’avoir huit ans... Dès que j’avais vu la lumière des bougies qui vacillait, je m’étais jeté à corps perdu dans le premier passage que j’avais vu, à l’intérieur d’un corridor sombre.

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