lundi 30 novembre 2009

Paraskevidékatriaphobie par Brigitte

Paraskevidékatriaphobie

Les sujets, il faut savoir les aborder franchement. Tous les sujets.
Autrement, c’est pas la peine de vivre en société.
Ça sert à quoi la société si on peut pas parler entre nous. Echanger nos idées, faire des projets. Parler des vrais problèmes, soulever des vraies questions.
Des fois, ça fait peur. Mais c’est normal. Tout le monde a un peu peur. Alors on fanfaronne, on fait semblant, on se fait croire qu’on est différent. Et on ignore les choses… Pour se rassurer.

Si c’est ça la vie, autant faire comme Robinson, s’installer sur une île, seul(e) de préférence et s’organiser sa petite vie.
Et encore, même pour lui ça n’a pas fonctionné. La preuve, il a été rattrapé par Vendredi. On est toujours rattrapé par quelque chose… ou par quelqu’un. Et ça arrive toujours quand on s’y attend pas. J’aurais bien voulu voir sa tête à Robinson quand il s’est aperçu qu’il était pas tout seul. Je suis certaine qu’il a pensé que vendredi l’observait depuis un bon moment.

Quand même ça fout la trouille. Penser que quelqu’un était là et qu’on ne le savait pas.

Un truc comme ça, moi, ça me fait perdre mes moyens. Savoir qu’il y a toujours quelqu’un ou quelque chose derrière moi. Et ne pas le voir. C’est ça le pire. Savoir et ne pas voir. C’est un truc à devenir dingue.

Alors pour ce qui est d’en parler aux autres…. Je suis pas dérangée, mais ils pourraient le penser. J’ai pris quand même le risque et j’ai essayé d’en parler, mais les gens veulent pas. Je les sens réticents. Ils refusent pas vraiment, c’est pire, ils éludent. Comme si… ça les gênaient.

Mais moi j’ai vraiment envie d’en parler. Je crois que ça me ferait du bien, un peu comme un soulagement. Temporaire, forcément. Parce que c’est cyclique, mais quand même, un soulagement, même tout petit, même temporaire, c’est toujours bon à prendre, non ?

Alors je me suis dit, pour me donner du courage : « Brigitte ma fille, faut y aller. Cette fois, tu en parles, tu t’imposes ».
Oui mais, ça n’intéresse personne. Ou alors les gens disent qu’ils n’ont pas le temps. Ou alors que c’est pas le moment. Enfin ça, c’est ce qu’ils disent…
Je ne suis pas certaine de les croire. J’ai un doute.
Les gens sont fuyants, vous savez.
Ou alors ils disent aussi que c’est à cause des enfants. « On n’en parle pas quand les enfants sont là. Ils pourraient entendre ». J’ai beau leur dire qu’on peut s’organiser, prendre rendez-vous, se retrouver dans un endroit tranquille et en parler calmement…
J’ai tout essayé, vraiment.

Le lundi, on me répond que la semaine commence, on a autre chose à faire que de penser à ça. C’est loin. Le lundi, tout le monde est débordé.

Le mardi, les gens font ce qu’ils n’ont pas pu faire le lundi. Alors pas question d’y revenir, tout le monde est à la bourre.

Le mercredi, c’est justement le jour des enfants. Faut les laisser jouer, se reposer, s’amuser, rêver, bref vivre leur vie d’enfants. Préserver leur innocence et surtout pas leur faire peur.

C’est un vrai cauchemar d’être seule à vouloir en parler.

Bon bah le jeudi alors, parce que là, quand vient le jeudi, il y a urgence . Sans quoi, les choses, elles nous rattrapent. Vous voyez ce que je veux dire. On se comprend à demi mot. Eh là, c’est l’angoisse, mais vraiment.

Moi, je suis pas une trouillarde, je suis une angoissée. Il faut bien faire la différence. Il faut pas confondre. C’est comme ceux qui vous disent Treize à la douzaine, non mais quelle arnaque ! Douze c’est douze et treize c’est treize. C’est mathématique en plus d’être cyclique. Ils peuvent le garder leur treize à la douzaine. Moi j’en veux pas, surtout pas. Le monde est plein d’escrocs, faut se méfier.

Je le lui ai dit à mon psy. Je lui ai dit : « le moment est venu de parler franchement docteur,nous allons nous attaquer au sujet, cette fois on ne va pas se défiler ».
Moi j’étais résolue. Carrément déterminée. J’ai peur de rien. C’est juste que j’aime m’organiser. Il y a des moments pour faire les choses et il y a des moments pour en parler. Faut anticiper.
Mon psy, je le vois toutes les semaines… le vendredi. C’est un rite, le vendredi à 13 heures… faut savoir gérer son temps. Et puis faut pas avoir peur d’y aller.
Mon psy me dit que le vendredi c’est pas le bon jour pour en parler. Il a une espèce de moue que je n’arrive pas à bien interpréter. L’air un peu dégoûté, genre « moi je ne mange pas de ce pain là » et même un peu pédant, style « ce n’est pas mon genre, je suis au-dessus de ça ».
Une fois, j’ai eu l’impression qu’il avait peur. C’était pas un vendredi comme les autres, je ne sais pas. Il avait pas l’air dans son assiette.Mais bon, je ne suis pas certaine, ça a été très fugitif. Il s’est vite ressaisi. Mais quand-même, j’ai vu l’inquiétude dans ses yeux. Un éclat, un bref instant, mais je sais ce que j’ai vu. Je ne sais pourquoi, ce jour là, j’ai payé la consultation 12 999 francs. Ca m’a quand même fait bizarre, comme si il fallait pas en parler… et ce jour là encore moins que les autres. Un gros non dit qu’il faudrait surtout pas chatouiller...Bizarre.

Il m’a proposé de changer nos rendez-vous. Mais je lui ai répondu que je ne suis pas disponible le samedi. Alors il m’a dit qu’on pourrait au moins changer l’heure. Il m’a proposé 18 heures à la place de 13 heures.
Mais c’est trop tard. Les choses, il faut en parler avant qu’elles se produisent. Après, c’est foutu. Elles arrivent et on n’y peut plus rien.

Bonnes ou mauvaises, là n’est pas la question, elles se produisent parce que c’est le moment. Le jour J comme on dit. On peut pas compter sur le hasard. C’est risqué.

Je vous l’ai dit, ou peut-être pas, je ne sais plus, y a des moments quand j’y pense trop je deviens vaguement confuse. Non, je ne suis pas superstitieuse. C’est seulement qu’il y a des limites à ne pas dépasser. Je suis prudente. Et prévoyante. Rien de plus.

Je suis contente qu’on en parle aujourd’hui. Ca me fait du bien, c’est comme un allègement. Parce que c’est lundi et qu’on est là entre nous. Y’a une bonne ambiance, c’est gai, c’est détendu. Et puis Y’ a Samir qui a eu cette remarquable idée d’aborder enfin le sujet ouvertement…et puis il y a Arnaud, Diégo et les autres. Mais au fait, on est combien ?

Ah, douze… C’est bien, c’est un bon chiffre. C’est un chiffre pair. Rond, propre, sans surprise et rassurant. Douze, Ca permet de faire des binômes, des paires justement. C’est bien de réfléchir à deux. A deux… on est plus forts. On se sent rassurés.
Mais c’est quoi ce bruit dans le couloir ? J’entends des pas. Je vous parie que c’est Grégoire. Il se trompe tout le temps Grégoire, je crois qu’il a des problèmes de calendrier. Mauvaise gestion du temps. Trop insouciant, Grégoire. Un jour ou l’autre, ça lui jouera des tours.

Au fait, ça faisait longtemps qu’il était pas venu. Alors on va être treize. Mais bon, c’est lundi. Je reste. Je vous l’avais bien dit que je ne suis pas superstitieuse.

Brigitte

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