mardi 10 août 2010

PAPILLONS, Nouméa, juillet 2010, Par Fabienne FABRE

Il était une fois un papillon de nuit qui tomba amoureux d’un papillon de jour.

A l’heure où le soleil va se coucher et inonde la plaine d’une lumière rasante, à l’heure où ses derniers rayons saupoudrent d’or et de rubis les troncs torturés des niaoulis, à l’heure où le ciel devient rose et mauve et la montagne, au loin violette, un magnifique papillon bleu femelle vint se poser à côté d’un vilain papillon de nuit mâle qui venait tout juste de se réveiller.

Ce dernier crut qu’il rêvait encore tant ce papillon était splendide. Ses quatre ailes bleu électrique, moirées d’écailles vertes et frangées d’un noir profond ressemblaient à du velours. Son corps, ses pattes, fines et élégantes, ses longues antennes, tout était racé en elle. Mais ce qui marqua le plus le papillon de nuit fut son regard, plus bleu que le lagon et plus profond que la nuit, il n’en avait jamais vu de pareil auparavant. Il s’avança près d’elle et commença à lui parler. Il lui dit de ne pas s’effrayer de son aspect si différend du sien et lui raconta combien il était émerveillé de la voir si belle, combien ses couleurs éclatantes enchantaient son regard et combien son allure le ravissait. Le papillon de nuit était poète et savait parler merveilleusement bien, mais bien sûr, il n’en avait pas conscience. Il parla, parla si longtemps que la nuit était bien avancée quand il s’arrêta. La belle ne réagit pas. Et pour cause : elle dormait profondément !

Le papillon de nuit, un peu triste, s’envola, comme chaque soir pour aller vivre ses aventures nocturnes, en compagnie de ses congénères. Il les trouva vraiment miteux avec leurs ailes de poussière marron, leur corps lourd et leurs antennes courtes. Ce qu’il aimait plus que tout, c’était la lumière. Mais tout le monde lui répétait : « ne t’approche pas de la lumière, tu risquerais de te brûler les ailes ! ». Quelquefois, il s’en approchait le plus qu’il pouvait, jusqu’à sentir la chaleur, mais ce soir, il n’avait pas envie de mourir. Il voulait revoir ce si joli papillon bleu.

Comme un jour nouveau se levait, il vint se poser sur la même branche de niaouli d’où il était parti. Comme les premiers rayons du soleil commençaient à le caresser, le papillon bleu s’éveilla, tout étonnée et ravie de voir le papillon de nuit à nouveau à côté d’elle.
- « Veux tu être mon ami ? lui demanda-t-elle tout de go, le monde est magnifique, mais je n’ai personne avec qui le partager ».
Bien sûr, le papillon de nuit acquiesça. Il était très surpris car il pensait que quelqu’un d’aussi beau devait forcément avoir des tonnes d’amis, alors qu’elle était seule, tout comme lui.

Ils commencèrent à discuter, mais au bout d’un moment, le papillon de nuit, épuisé par sa nuit sans sommeil, mais ravi, s’endormit. La belle, quant à elle, avait les ailes qui la démangeaient et elle s’envola sur un rayon de soleil, au milieu d’une orgie de couleurs. Elle papillonna toute la journée, simplement heureuse.

Quand elle revint ce soir-là réveiller son ami, elle avait mille choses à lui raconter, mais saoûle de soleil et de fatigue, elle s’endormit au milieu d’une phrase. Le papillon de nuit regrettait que son monde ne soit qu’en demi-teintes, allant du blanc au noir. Alors, pour mieux l’appréhender, il développa son odorat pour raconter à sa belle sa vision olfactive d’un monde merveilleux, car, c’est bien connu, c’est au cœur de la nuit que les plantes et les fleurs exhalent leurs plus secrètes fragrances.

Et ainsi, de soirs en matins et de matins en soirs, ces deux papillons si dissemblables partagèrent leurs expériences pour une vision complète du monde. Il y avait bien longtemps que l’amour avait remplacé leur amitié du début. Pour pouvoir rester ensemble plus longtemps, ils se réveillaient plus tôt et s’endormaient plus tard, à la limite de leurs forces. Ils apprirent que leurs différences faisaient leur originalité. Ils apprirent aussi à ne pas juger mais à connaître et comprendre. Ils devinrent curieux de tout.

Mais la fin de la saison arrivait à grands pas et, avec elle, ils le savaient, la fin de leur courte mais riche vie.
Alors que les matins devenaient bien frais, Le papillon bleu pondit ses œufs, puis, épuisé, enroula ses longues antennes autour des antennes du papillon de nuit pour un sommeil éternel.
A la prochaine saison, naquirent les nouveaux papillons. Au moment où ils sortirent de leur chrysalide et déplièrent leurs ailes toutes froissées, la moitié d’entre eux étaient bleus et l’autre moitié marron. Chaque fois que vous verrez un beau papillon bleu de Nouvelle-Calédonie, regardez un peu autour : il y sûrement un papillon de nuit dans son ombre.

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