lundi 28 juin 2010

Quatre mots

  1. « Abrégez ! » avait-il crié, vindicatif. Voilà qu’il fallait tout à coup que je me censure. Que je ne célèbre plus ma logorrhée, que je la circonscrive à son plus simple énoncé. « Brève, concise, laconique, éthérée, sans artifice ! » répétait-il. En somme, il me demandait de lacérer mon écriture, de l’écarteler du dedans, de l’amputer de l’adverbe, de la rogner du complément, de la désincarner de son objet. Tout ça, rien que ça, et pourquoi ? Pour qu’elle soit lue ! J’étais sidéré.

  2. Babyboot, c’est avec ce sobriquet ridicule que tout le monde appelait ce garçon attachant. Il jouait sans cesse, toute la journée, avec les petits bonhommes de plomb articulés. Au bout des barres qu’il tirait et repoussait avec véhémence, s’alignait l’équipe parfaite et babyfoot donnait à ces répliques rouges ou bleues l’adresse des Dieux, la magnificence des grands, des vrais, ceux dont il rêvait d’être. On apercevait son jeu, son adresse lorsque pris dans l’action, il frottait nerveusement les cuisses de son bluejean pour éponger la sueur maligne qui faisait glisser la poignée de ses mains. Ses mains si adroites alors qu’il aurait voulu jouer du pied, crocheter, dribler, jongler et marquer des buts, de véritables buts, pas des points marqués avec une balle en liège dans une cage de fer. Mais Babyfoot n’a jamais pu fouler les stades, handicapé depuis ce dramatique week-end de septembre où il perdit l’usage de sa jambe droite. Sanglant accident de la route où malgré l’intervention rapide des secours et la pause d’un by-pass pour irriguer son corps, son rêve d’enfant s’envola à jamais pour se réincarner en miniature.

  3. Osso-buco ou niocnam. Pedro hésitait devant la carte de ce restaurant particulier, si particulier qu’il avait comme spécialité de proposer justement TOUTES les spécialités de TOUS les pays du monde. Grill du torero ou paella Sévillane. Etonné par la formule – comment pouvait-on savoir cuisiner et proposer autant de plats différents - il avait invité Nina à découvrir l’établissement. Tous deux attablés dans une salle vide, l’épais menu sur les jambes, ils restaient absents et dubitatifs. Rouleaux de printemps dans son nénuphar ou bouillabaisse à la Provençale. Cuisses de grenouilles persillées ou encornets farcis à l’Armoricaine. Il était impossible de consulter tous les mets proposés, de se faire une idée, une envie, trop de recettes différentes, d’accompagnement divers, de plats inconnus pour décider d’une commande pertinente. Le couple ahuri se regardait bouches excitées entre deux choix impossibles, puis ils tournaient de nouveau les pages de ce qui ressemblait plus à un dictionnaire culinaire qu’à une carte de restaurant.
    Soudain, Pedro sentit une odeur de poisson frais lui parvenir dans les narines, une moiteur incommodante sur le cou, les joues puis sur tout le visage. Il ouvrit un œil, puis l’autre. Il était cinq heures de l’après midi, un samedi d’été sur son transat, Pedro, cent-dix kilos à la dernière pesée, s’était endormi. « Chéri, je sors ! Je vais acheter des yaourts allégés pour ton régime. » lui lança Nina depuis la cuisine.

1 commentaire:

  1. Bienvenu Christophe parmi les buissons peuplés de mots sauvages et autres canopée, clairières et futaies du Bois de Jade...

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